
Le phrasé de Sri Aurobindo est d’une amplitude unique. Et la chute de ce paragraphe, cette fabuleuse dernière phrase : The earliest formula of Wisdom promises to be its last, – God, Light, Freedom, Immortality est sublime. Elle me trotte en tête et dans le coeur depuis mon adolescence où je l’ai lu dans la version française de Jean Herbert.
Le propos est tendu comme un arc : il ouvre la symphonie cosmique du premier chapitre du premier volume du joyau philosophique de Sri Aurobindo : The Life Divine*. Une des oeuvres magistrales que surplombe seulel’épopée de Savitri*.
La vie Divine reste pour moi un océan d’intelligence et de beauté, une partition conceptuelle magistrale qui m’évoque Bach par ses harmoniques et l’art des cathédrales par son amplitude cognitive. J’y plonge et replonge régulièrement, y rapportant chaque fois des étoiles de mer indicibles.
C’est cet ouvrage qui m’a donné très jeune le goût de la philosophie.
J’avais 16 ans alors et pour le lire et le comprendre j’ai du me jeter dans les dictionnaires philosophiques dont il me reste en tête celui de Lalande. Je me souviens avoir lu avec avidité l’histoire de la philosophie d’Emile Bréhier. C’était fort téméraire de ma part je le reconnais. Ceci dit ce ne fut pas une passion superficielle et provisoire, bien au contraire. Cet engouement s’est alimenté d’intérêt à mesure que je lisais et approfondissais mes connaissances. Bergson, Plotin, Platon…entraient dans ma vie tandis que je plongeais en apné dans la Vie Divine.
Parallèlement, pour muscler mon entendement et mon champ de références j’étudiais la philosophie hindoue avec les indianistes de l’époque : Alain Daniélou, Jean Filiozat, M. Biardeau, Jean Varenne… et tant d’autres.
Dans le même temps Jean Herbert publiait la correspondance de Sri Aurobindo. J’utilisais ces volumes pour guider mes études en suivant les recommandations du Maître à ses disciples : lire les grandes oeuvres universelles (Shakespeare, Dante, Homère, Cervantes.. mais aussi la Bible, les textes sacrés, de l’humanité, sans oublier le Ramayana et le Mahabharata, les Upanishads et les Puranas), étudier l’histoire à travers les grandes biographies, l’histoire de l’art, la littérature universelle…
Sri Aurobindo écrivit des milliers de lettres pour accompagner ses disciples dans leurs études littéraires et poétiques en guidant avec attention leurs lectures et leurs travaux intellectuels. Comme pour la spiritualité classique, il fallait avoir fait le tour de la culture la plus universelle pour se permettre d’aller plus loin.
Comme on le voit Sri Aurobindo était très loin de ce qu’on entend habituellement par « Maître spirituel hindou ». Il ne le fut pas seulement à cause de son intérêt pour le patrimoine de la culture universelle, mais sur tous les plans.
J’ai découvert les Maîtres spirituels indiens successivement par la suite dans le sillage d’Arnaud Desjardin, par les lectures, puis dans les ashrams durant un long voyage en Inde.
J’ai compris en séjournant alternativement chez Ramana Maharshi, à l’Ashram de Sri Aurobindo et Auroville que deux univers différents se faisaient face : celui de la spiritualité indienne traditionnelle, ascétique, ritualiste, qui cherche la Mukta, l’éveil, la libération par la méditation afin de s’extraire du joug de Maya
(les termes joug et yoga ont la même racine). Et celui d’une vision de transformation radicale de la réalité dont la Mère donna la double forme de l’expérience évolutionnaire de l’Agenda et de la création d’Auroville.
C’était bien deux mondes : devenir un Jivan Mukta, un libéré vivant, une âme non conditionnée qui transmet son expérience de félicité aux disciples comme on le voit encore un peu partout ou opérer le forage dans la conscience cellulaire universelle et incarner dans la réalité physique une expérimentation anticipative concrète : Auroville.
J’appelle les tenants de cette tradition de la libération comme finalité dernière les divergents*. J’en parlerai ailleurs car j’ai étudié la question, piqué à la fois par la curiosité mais aussi, il faut l’avouer en tant que… pratiquant !
J’ai en effet pratiqué tout au long de 35 années diverses formes de méditation : j’ai connu des gourous, des tas de groupes, de sectes, de partisans sous des expressions multiformes… Et je les ai pratiqué : de la méditation transcendantale, à la Dhyana de Sivananda Saraswati, au Japa de Ramdas à la méditation dévotionnelle de Ma Ananda Moyi et Amma, sans oublier celles d’Osho, et les formes si proches promues par le soufisme (oraisons diverses, wird, tasbih…).
Elles ont toutes un point commun qui se sont révélées pour moi avec le temps : ce sont les pratiques issues de la longue tradition d’usages des opiacées et autres plantes auxiliaires* qui furent d’usages fréquent par nos humanités premières, dans l’antiquité, au Moyen-âge, et jusqu’au XXème siècle dans tous les continents !
Enfin un petit hommage à Georges Van Vekhrem, qui fut un excellent orateur et communicateur avec ce site qui lui est consacré. Nous l’avons rencontré à plusieurs reprises à Auroville pour de longs échanges amicaux. Ce flamant a écrit plusieurs robustes ouvrages, notamment une remarquable biographie de Mère et « Au-delà de l’espèce humaine », lesquels sont indispensables pour compléter ceux de Satprem.
Ces dernières conférences à Auroville disponibles en ligne sont remarquables.
Il partageait notre avis selon lequel la connaissance générale de l’histoire, la lecture complète des ouvrages de fond de Sri Aurobindo (la vie divine, la synthèse des yogas, l’unité humaine, etc) sont indispensables. Il faisait la différence entre l’intellect clair, viveka, et le mental. Et ne cautionnait pas leur confusion générale chez beaucoup d’aurovilliens.
